Le silence du vendeur professionnel : une réticence dolosive sanctionnée
Arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 14/08/2025
1. Définition du dol
L’article 1116 du Code civil définit le dol comme étant « une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. »
En doctrine comme en jurisprudence, le dol est appréhendé comme un vice du consentement, combinant un élément matériel – pouvant résulter d’un comportement actif ou d’une abstention volontaire – et un élément intentionnel, à savoir la volonté de tromper le cocontractant.
Si le dol d’une des parties a une influence sur le consentement du cocontractant, cela pourra entraîner la nullité de la convention.
Dans le cadre d’un contrat de vente immobilière, le vendeur a l’obligation, comme tout vendeur normalement prudent et diligent, de décrire précisément le bien qu’il met en vente.
Cette obligation d’information est d’autant plus rigoureuse lorsque le vendeur est un professionnel de l’immobilier. Il est tenu à un devoir accru de transparence envers les acquéreurs non avertis.
2. Jurisprudence inédite de la Cour d’appel de Bruxelles – arrêt du 14 août 2025
Dans un arrêt encore inédit, la Cour d’appel de Bruxelles a retenu la réticence dolosive dans le chef d’un vendeur professionnel de l’immobilier, pour avoir volontairement dissimulé des informations déterminantes à un acquéreur non professionnel.
2.1. Objet du litige
Par le biais du site internet « Immoweb », une société spécialisée dans l’immobilier a mis en vente un terrain. L’annonce de mise en vente présentait un « terrain à bâtir » et précisait qu’une demande de permis était en cours pour un immeuble de rapport de 7 logements et 1 commerce. L’annonce mentionnait en outre que les prescriptions urbanistiques étaient indisponibles.
Un acquéreur – non professionnel de l’immobilier – a manifesté son intérêt. Dans le cadre des négociations, la société venderesse s’est montrée particulièrement confiante quant à la faisabilité du projet, allant jusqu’à associer l’acquéreur à une participation financière aux frais d’architecte.
Or, le terrain comportait un platane à feuilles d’érable inscrit sur la liste de sauvegarde de la Région et, avant la mise en vente, la commission de concertation de la commune avait déjà émis un avis unanimement défavorable à propos d’un projet similaire que celui faisant l’objet de la demande de permis d’urbanisme. (huit logements et un commerce).
Peu de temps avant la signature de l’acte, l’acquéreur a eu connaissance de cet avis. Craignant alors de se retrouver avec un terrain inconstructible, l’acquéreur a refusé de signer l’acte authentique.
Par citation du 10 octobre 2018, la société venderesse a poursuivi l’exécution forcée de la vente et, subsidiairement, sa résolution aux torts de l’acquéreur. L’acquéreur a quant à lui formulé une demande reconventionnelle tendant à prononcer la nullité de la vente ou sa caducité.
Par jugement du 8 janvier 2021, le Tribunal de première instance de Bruxelles a annulé la vente aux motifs qu’elle avait été conclue sous la condition suspensive implicite de l’obtention du permis d’urbanisme pour la construction de sept logements et d’un commerce projetée, qui ne s’est pas réalisée.
La société venderesse a relevé appel de cette décision dont elle postule la réformation en invitant la Cour d’appel de Bruxelles à prononcer la résolution de la vente aux torts de l’acquéreur.
2.2. Raisonnement de la Cour
La Cour d’appel a souligné les éléments suivants pour conclure que la vente devait être annulée pour réticence dolosive dans le chef de la société venderesse :
1° La société venderesse était un professionnel de l'immobilier tandis que l’acquéreur était non professionnel.
2° La publicité de mise en vente prétendait qu'aucune information urbanistique n'était disponible quant au terrain à bâtir et ne mentionnait pas l'adresse du site internet sur lequel ces informations étaient consultables comme l'exige l'article 281 du Cobat.
3° La société venderesse avait connaissance de la présence d’un platane à feuilles d'érable inscrit sur la liste de sauvegarde.
4° La société venderesse savait que la construction sur ce terrain était fortement compromise puisqu'elle avait déjà essuyé, préalablement à la mise en vente du terrain, un avis défavorable de la commission de concertation de la Commune quant au projet de construction d'un immeuble similaire.
5° La vente a été conclue dans la précipitation, alors que la société venderesse disposait déjà, lors de la signature du compromis, d’éléments suffisants démontrant que le permis d’urbanisme pour le projet envisagé ne pouvait pas aboutir.
La Cour a estimé que la société venderesse avait fait preuve d'une réticence dolosive en présentant le bien comme un terrain à bâtir avec permis en cours, et en faisant croire à l’acquéreur en la faisabilité du projet au point de solliciter sa participation financière dans les frais d'architecte.
En conséquence, la Cour a considéré que sans ces manœuvres dolosives, l’acquéreur n’aurait pas acquis le terrain litigieux et a donc annulé la vente.
2.3. Enseignement
Cet arrêt inédit de la Cour d’appel de Bruxelles rappelle avec force que le vendeur, et plus particulièrement le vendeur professionnel de l’immobilier, est tenu à une obligation d’information renforcée à l’égard de l’acquéreur, surtout lorsque celui-ci est non professionnel.
La Cour considère qu’omettre de porter à la connaissance de l’acquéreur des éléments essentiels affectant la constructibilité du bien – tels qu’un avis défavorable antérieur ou la présence d’un arbre classé – constitue une réticence dolosive.
Il ressort de cette décision que le vendeur professionnel ne peut se contenter d’une présentation approximative ou lacunaire du bien : il doit communiquer l’ensemble des informations en sa possession. À défaut, son silence ou ses manœuvres sont de nature à vicier le consentement et à justifier l’annulation de la vente.
En définitive, cet arrêt consacre l’exigence de transparence comme corollaire de la qualité de vendeur professionnel. Toute dissimulation d’informations déterminantes, même passive, est susceptible d’emporter la nullité de la vente pour cause de réticence dolosive.
Co-écrit par Me Alexandra VASILAKIS et Me Emilie DEHOUST
Maître Alexandra VASILAKIS
Pratique quotidiennement le droit immobilier au sens large et a été reconnue spécialiste en droit de la construction et droit des baux par décision du Conseil de l’Ordre Francophone du Barreau de Bruxelles du 16/01/2018.
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